Cet article a été publié originellement sur senscritique. En voici la nouvelle version, éditée spécialement pour ce blog. Et oui.
Résumé:
Lorsqu'Anastasia est envoyée par sa meilleure amie pour interviewer
Christian Grey, elle découvre un homme attirant, énigmatique et
intimidant.
Mon avis:
1/10
Bon. L’enthousiaste
(principalement féminin) pour cette série est terrifiante. Les critiques et les moqueries aussi. Du coup, je me suis dit pourquoi pas? Du reste, je préfère lire et regarder par moi-même plutôt que de me baser sur les avis de tierce personne. En plus, j'apprécie une bonne romance et une bonne petite scène érotique de temps en temps. Je m'imaginais (naivement) qu'au pire j'allais bien rire.
Et du coup, vous pouvez imaginer quelle a été ma surprise quand j'ai compris de quoi parlait vraiment ces livres. Vous pouvez aussi imaginer assez finalement le dégout constant que j'éprouve à écouter des gens dire du bien de ce bouquin.
Explication
On pourrait parler en long et en large de la
qualité littéraire de ce livre dont l'histoire tient sur un ticket de caisse,
de la psychologie des personnages qui tient elle sur un emballage de carambar
ou encore de la soi-disant psychanalyse à la Freud de comptoir de bas étage.
N'essayons même pas de répondre aux débiles mentaux qui trouvent le style
moderne lorsque la seule innovation du roman est l'utilisation outrancière,
extrêmement redondante et inutile d'un répertoire réduit d'injures (putain).
Mais au delà de tous ces défauts (qui combinés sont impardonnables pour un
livre qui a réussi à être publié, quand on pense aux merveilleux romans qui
n'arriveront jamais jusque là), il y un message sous-jacent complètement
terrifiant, qu’il me semble impératif que les gens comprennent correctement et
n’assimile pas comme un comportement/une situation normale. S’il vous plait.
En résumé, les deux grands messages de ce livre sont
donc:
1) Si tu aimes faire mal à quelqu’un dans un
cadre de relation BDSM, c’est que tu as du subir quelque chose de traumatisant,
genre un viol, une enfance difficile etc, qu’en gros c’est une pratique de
pervers et/ou de traumatisé. Au dela de ce message complètement tordu,
l'hypocrisie du roman est de nous dire "venez vous aller découvrir des
nouveaux horizons sexuels (le BDSM)" tout en sous-entendant que "c'est mal et anormal",
et sans jamais montrer les vrais aspects de ce genre de relation
(communication, consentement, discussion entre les partenaires sur le scénario,
etc etc). Vous pensez que vous allez découvrir le BDSM, peut-être trouver une réponse
à votre interrogation principale (pourquoi cette pratique plait? Où ces gens
trouvent-ils du plaisir dans la douleur?). Au lieu de ça on vous sert les
stéréotypes les plus stigmatisés sur le sujet, sans une once de bon sens ou de
renseignement.
Autre hypocrisie, mais d'Ana cette fois: c'est mal, son éthique
personnelle en prend un coup, elle trouve ça franchement tordu, mais elle prend
son pieds; et jamais elle ne se repositionne (sauf en fin de troisième tome)
par rapport à ça, en se disant "si j'aime ça, c'est peut-être parce que ce n'est pas si
"mal".
Quelques témoignages de pratiquants et leur avis sur 50 shades (of shit)
En réalité, le rapport entre dominant/dominé n'a rien à voir avec celui décrit dans 50
shades, qui est ici un rapport de force constant. Dans une relation BDSM consentante et saine est confinée à un moment et un lieu
décidé par les deux intervenants. Le dominant ne doit pas se comporter comme
tel une fois le rapport terminé, car évidemment on arriverait rapidement à
des abus et des excès et un brouillage de carte (est ce encore un jeu? est la
réalité?) comme Ana le ressent (peur panique de la réaction de Christian
lorsqu'elle fait quelque chose qu'elle sent ne va pas lui plaire). Et c'est là un gros
problème du roman: se cacher derrière une pratique pour justifier les abus de
Christian envers Ana.
Rappelons le aussi, Ana n'a JAMAIS signé le contrat de départ, elle ne prend
aucune décision sur les rapports.. On pourrait dire que la démarche de Christian de lui proposer ce contrat est déplacée, mais au moins à ce stade il
est complètement transparent et honnête avec elle. Bien sur ce n'est
certainement pas la méthode que les pratiquants de BDSM favoriseraient pour
entamer une relation BDSM.
Par rapport à tout ça n'oublions pas: le sexe
n’est pas honteux, qu’on le pratique ou pas, ce n’est pas honteux tant qu’il y
a consentement des différents partis (consentement en gras, italique,
souligné!).
Ce qui n’est pas le cas dans ce livre (pour le consentement: Grey ne respecte
pas les safewords, il n’arrête pas quand elle dit qu’elle ne se sent pas prête,
ou quand elle dit carrément non, il est manipulateur, jaloux, controlant, voire menacant. Pire il la suit, traque son gsm. Un stalker en puissance). Honnêtement certains passages sont terrifiants. Morceaux choisis:
"Chris, Ana!" He bangs his fist on the table, making me jump, and stands so abruptly he almost knocks the dining chair over. "You have one thing, one thing to remember. Shit! I don't fucking believe it. How could you be so stupid"
"No, please. I can't do this, not now. I need some time. Please." "Oh Ana, don't overthink this."
"No," I protest, trying to kick him off. He stops. "if you struggle, I'll tie your feet too. If you make a noise, Anastasia, I will gag you."
"Alaska is very cold and no place to run. I would find you. I can track you cell phone- remember?"
"So you felt demeaned, debased abused and assaulted- How very Tess Durbeyfield of you. I believe it was you who decided on the debasement if I remember correctly. Do you really feel like this or do you think you ought feel like this? Two very different things. If that is how you feel, do you think you could just try and embrace these feelings, deal with them, for me? That's what a submissive would do."
-> Une petite vidéo sur le consentement et la sexualité positive
2) Si tu es assez patiente, gentille, soumise
et que tu lui montres fort que tu l'aimes, tu arriveras probablement à guérir
ton amant de son addiction au sexe violent, parce que oui le BDSM, même si ça
fait mouiller à foison ta culotte virginale, c’est mal. Et donc oui par
extension, tu accepteras sagement de te faire stalker, suivre, menacer, être
insultée, achetée (par des livres couteux, un ordinateur, une voiture…).
Évidemment par extension tu changeras ton apparence pour le gout de Mr, tu le
laisseras s’immiscer dans tes décisions, tes relations avec tes proches et tu
accepteras son besoin de contrôle permanent. Bref tu te conformeras à ses
envies, ses désirs, ses demandes, ses besoins; sans jamais au grand jamais lui
en parler; parce qu'après tout, il a besoin de quelqu'un qui l'aime et qui le
guérisse et pas quelqu'un qui veuille communiquer avec lui. Tout le monde sait
que communiquer, parler, ça n'a vraiment aucune utilité dans un couple (je
reviens, je vais vomir deux minutes).
Enfait ça ressemble vachement à une relation abusive, voire clairement à de la
violence conjugale.
Quelques autres messages que j’ai trouvé
choquants (sexiste, réducteur et rétrograde; barrez la/les mention(s)
inutile(s)) par ce que ça implique (et mets de la pression indirectement dans
notre société):
-Si à 21 ans, tu n’as pas perdue ta petite
fleur, c’est qu’il y a un problème. Je cite le livre: “I knew you were
inexperienced, but a virgin! I just don’t understand, you’re 21, nearly 22.
We’re going to rectify the situation right now.” Vive l’image à donner aux jeunes. L’age du premier rapport sexuel
ne devrait pas être quelque chose de complexant ou d’humiliant. Ne pas avoir de
rapport du tout ne devrait pas être « une situation à remédier ».
-Si tu n’as pas trois orgasmes lors du
premier rapport sexuel, t’es bizarre sérieux. Comment voulez vous qu’une jeune
fille se sente lors de son premier rapport si TOUT lui dit dans notre culture
qu’elle doit aimer ça direct et mouiller à torrent. Et l’homme comment doit-il
se sentir la dedans ? Pression de réussir à donner du plaisir à sa partenaire,
à ne pas lui faire mal ; et comme évidemment ça ne marche pas, la honte et le
mal-être de ne pas réussir à faire ce qu’on attend de lui. Pourquoi ne
considère-t-on pas simplement la première fois comme une première fois, et
qu’on en profite pour passer un moment d’intimité et de rire avec son/sa
partenaire sur le moment ?
-Les filles sont des êtres superficielles. Si
tu es beau et riche, tu peux faire ce que tu veux: elles s'en foutent les filles, tu es riche/beau. Et les hommes
sont des êtres superficiels. Si tu les fais bander, c'est bon c'est dans la
poche. Non attends, machouille toi un peu plus la lèvre pour voir? C'est un peu
l'esprit du roman.
-Si tu utilises ton cerveau, comme la
meilleure amie de Ana, et que tu trouves qu'il y a quelque chose qui cloche dans cette
relation; c'est d'office que tu es une hystérique et une emmerdeuse. Parce que
c'est clair que PERSONNE n'a envie d'une fille qui réfléchit, n'est ce pas. Vite un verre de vin.
Je pourrais développer chaque point pendant
des heures entières, mais je m’arrête là, je vous ai mis des vidéos qui en mon
sens résume ma pensée et font un peu d’éducation sexuelle, parce que vu
l’engouement pour un livre pareil, je pense qu’il est temps que les gens
s’éduquent et apprennent à penser par eux même.
Je ne reproche à personne de trouver ce livre détendant/agréable etc. Ce
que je reproche dans cet engouement, c'est le manque de discernement et de
critique. Il y a une différence entre apprécier un livre pour la détente qu'il
propose et/ou l'apprécier pour ses qualités littéraires (sujet, style etc). On
peut apprécier un livre/série/film et réaliser que c'est quand même de la daube
sur certains aspects (parce que lire dans une critique positive que le
personnage de Christian est profond et bien construit, c'est vraiment manquer
de discernement; entendre une fille de mon age, pas une ado, mais une jeune
femme quoi, affirmer que toutes les filles rêvent de trouver leur
"Christian", c'est complètement TERRIFIANT! Meuf t'as bientôt 25 ans
et tu te rends même pas compte de l'implication de ce que tu viens de dire
(fantasmer sur christian, oui pourquoi pas, c'est ton problème, c'est un fantasme;
mais croire sincèrement que tu ais envie de vivre ce genre de relation
tordue... c'est flippant/terrifiant/j'ai même pas les mots)).
Je n'ai pas non plus la science infuse, et je peux évidemment me tromper;
j'accepte la critique et le débat (même si j'ai l'air vindicative dans cette
critique, désolée les amis), mais pour un livre comme ça qui utilise la pratique
BDSM (et se cache derrière) pour justifier et glorifier un schéma de relation
abusive... non je ne peux pas.
Donc apprécier, mais rester lucide.